ENTRETIENS


 Entretien Raphaël Boccanfuso
Frank Lamy & Julien Blanpied



Comment as-tu perçu l’invitation qui t’est faite de participer à ce cycle d’expositions autour de l’économie ?

C’est bien "autour" que se situe l’activité artistique, je ne me vois pas dire que je travaille "sur ou dans" l’économie. Les différentes pratiques artistiques contemporaines ont tendance à être© perméables à l’ensemble des phénomènes sociaux et les barrières des activités s’estompent, cependant faire de l’art ou faire l’artiste reste une occupation qui, à mon sens, a bien peu le pouvoir d’influer sur la réalité sociale. On joue entre nous, en famille.

Où se situe, pour toi, la dimension économique de ton travail ?
Dans la réserve. J’attends le résultat de la mise aux enchères des droits de propriété et d’exploitation du verbe avoir© en salle des ventes à Drouot-Richelieu.

Tu proposes un ensemble d’œuvres pour l’exposition. Comment s’articule ton choix ?
Je présente deux projets différents qui fonctionnent un peu comme deux faces de la même pièce. Les deux projets usent d’un contournement de la législation du droit à l’image et à la propriété. Dans un cas, j’altère, par la pixellisation, une partie du visuel et je m’autorise ainsi à diffuser des images de bâtiments protégés que j’intitule "Sans titre " et qui se présentent sous formes d’affiches et de cartes postales mises à disposition du public. Ces supports tiennent lieu d’œuvre par leur statut de multiple et posent la question de la diffusion.  A propos du projet inédit intitulé ©opyright j’ai aussi procédé à une altération et à une dégradation visuelle pour pouvoir déposer à l’INPI les verbes être© et avoir© ou plutôt une calligraphie originale de ces deux auxiliaires. Un agrandissement d’une typo d’usage courant a engendré des déformations avec des empattements, mais une fois ramené à sa taille d’origine le mot ne perd rien de son intégrité.
 Ce procédé m’autorise à  en revendiquer la propriété, et l’institution, hors du champ de l’art, a validé la chose officiellement. Cette pièce se compose entre autre de deux papier peints. Il s’agit là aussi d’édition, je m’intéresse à la perte de valeur de l’image, un multiple n’est pas considéré de la même manière qu’une pièce unique, il n’a pas le même statut, on est bien là dans la question de l’économie de l’oeuvre. De plus ces deux papier peints permettent une propagation et un envahissement spatial tout en aménageant un jeu de lisibilités différentes selon le recul du spectateur.

Quelle est la réalité du piratage institutionnel auquel tu te livres depuis le début de ton travail ? Ne relève-t-il pas du domaine de la fiction ?
Il me semble que j’ai plutôt affaire à la réalité du monde, prenons par exemple la série d’images "sans titre ", pour laquelle j’ai pixellisé un certain nombre de bâtiments afin de les rendre anonymes et de ne pas avoir© de droits à payer. Je spécule que cette altération de l’image de l’architecture me protège, mais il n’est pas interdit de penser que nous puissions être© rattrapé par la dure réalité d’un cabinet d’avocats et que certains s’estiment en droit de pouvoir nous demander des comptes pour la présence de tel ou tel amas de pixels dans une image de ce catalogue. Lorsqu’en 1998, en collaboration avec le Frac Languedoc-Roussillon ou plutôt en son nom, je commet un excès de vitesse sur l’autoroute et demande qu’il s’engage à payer l’amende, c’est la collaboration qui m’intéresse, l’investissement de l’institution, sa capacité à produire une oeuvre en franchissant la barre de la légalité. Dans le cas du dépôt à l’INPI des deux auxiliaires être© et avoir©, et la mise en vente à Drouot Richelieu du verbe avoir©, j’ai utilisé les voies qui me semblaient les plus appropriées afin qu’une institution habilitée valide ma propriété, si elle la reconnaît je suis hors fiction tout en sachant que le domaine artistique dans lequel finalement j’agis, en utilisant parfois d’autres voies, reste un système de représentation. Je ne brandis pas l’étandart noir de la flibuste et à aucun moment je n’ai l’impression de me trouver embusquer dans une crique à l’affût du passage de la caravane institutionnelle.

Comment qualifierais-tu cette manière de dévoiler les dysfonctionnements d’un système dont tu fais partie, d’en mettre à jour les structures invisibles ? Cynique, moralisatrice, ludique…
Pourquoi parler de dysfonctionnements, j’utilise les fonctionnements de même que les "objets culturelles" comme un matériau malléable avec lequel il est possible de travailler. A la renaissance, les donateurs, les financeurs d’une fresque ornant le mur d’une église étaient représentés dans l’image, achetant ainsi leur petit coin de paradis en faisant preuve d’investissement spirituel et financier. Dans ce type de création les coulisses de la création ont une incidence sur la peinture elle-même, les conditions de production sont clairement énoncées ; lorsque je me fait flasher en excès de vitesse sur l’autoroute avec une voiture bardée des logos des "donateurs" qui prennent en charge l’amende (le ministère de la culture et la région Languedoc-Roussillon), cela découle de la même volonté de mise à plat des conditions de réalisation d’une œuvre, assez classique finalement.

Te définirais-tu comme un hacker de l’art contemporain ?
Je n’envisage pas me présenter sous cette casquette, non ! J’agis en toute clarté.

Quelles sont les raisons qui motivent l’intérêt particulier que tu portes aux questions liées à l’image, sa propriété, son commerce… ?
L’image est partout et assez trompeuse. Les images sont crées dans un contexte qui les définies. Lorsqu’en 57 Yves Klein réalise un timbre bleu non officiel et s’en sert de manière pratiquement illicite pour l’envoi d’un de ses cartons d’invitation, il s’agit d’une expérience artistique, on pourrait parler de fractionnement et de dématérialisation de l’œuvre, de diffusion dans le tissu social…  Si ce même visuel était utilisé actuellement pour un timbre, qu’elle en serait la nature et le statut? Un document officiel sortant de l’imprimerie nationale ayant valeur de taxe et d’échange et que l’on peut dénaturer par oblitération? Serait-il le moyen pour les ayants droits de se remplir les poches ou bien le signe d’une certaine reconnaissance de l’œuvre qui lui confèrerait un caractère d’officialité républicaine? On aurait pas mal dérivé depuis l’expérience artistique de 1957. Je ne nie pas l’autonomie et la valeur de l’image en elle-même, mais ce sont les conditions d’émergence d’une image qui m’intéresse, la trame dans laquelle elle se trouve prise.

 
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© Raphaël Boccanfuso 2009