TEXTES DIVERS


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Acheter une voiture avec une bourse d’aide à la création de la Drac Île-de-France et en faire son instrument de travail (Savoir présenter ses remerciements de face, de trois-quarts et de profil, 1996), commettre un excès de vitesse avec ce même véhicule portant les couleurs d’une autre institution et lui faire payer l’amende (Aux couleurs du Frac Languedoc-Roussillon, 1998), aller dans des bibliothèques publiques insérer son portrait dans des volumes d’histoire de l’art (Autoportrait en artiste contemporain, 1997-2004), recomposer des reproductions de tableaux abstraits en en prélevant les surfaces de même couleur pour les assembler en histogrammes estampillés du cachet de l’artiste (Savoir disposer ses couleurs, 1997-2005, interdit de diffusion par l’ADAGP pour "graves violations du droit moral")… Raphaël Boccanfuso s’immisce dans les interstices d’un monde de l’art économico-culturel pour en court-circuiter les paradoxes. Jouant sur les marges et les parasitages, il les utilise pour les mettre en avant : que fait-on de l’argent des aides culturelles ? la signature de l’État peut-elle remplacer celle de l’artiste ? où commence et où s’arrête le travail d’un artiste ? quelle marge la propriété intellectuelle laisse-t-elle à la liberté de création ?…
Le lieu de d’art comme le rapport au réel sont mis en question par ses
"actions", qui désacralisent l’art pour mieux mettre à mal les protocoles qui y sont attachés. En empruntant aux entreprises leurs modes de communication tout en revendiquant un statut d’œuvres à ses "prestations", Raphaël Boccanfuso, pirate culturel et VRP de son propre travail, affirme que l’art est à la fois image et commerce. C’est en toute logique que le projet conçu pour le MAC/VAL tourne autour de l’image sous le prisme du droit de reproduction, un terrain où il s’agit, plus que jamais, de déjouer les règles pour pouvoir affirmer sa liberté. Prémisses de cette réflexion, les photos d’une série "Sans titre" (2001-2006) : des images de monuments célèbres, cadrage "cartes postales", dont le bâtiment principal apparaît pixellisé, car le droit à l’image de l’architecte l’ "interdit" de diffusion sans autorisation, sans rémunération. Clin d’œil aux conventions visuelles de l’anonymat, cet iconoclasme qui est une ruse pour rendre la photo légale et lui permettre de s’afficher, de se propager en tout format et tout endroit, est aussi une façon de pointer la contamination de l’espace public par le domaine privé, comme celle de la liberté de création par le droit de reproduction. Raphaël Boccanfuso rend à l’image son environnement, un paysage que ce protectionnisme raye de la carte, en même temps qu’il nous dit qu’une photo de la villa Savoye ne renvoie pas forcément au bâtiment de Le Corbusier mais peut être© une œuvre en soi, signée R.B. À l’heure où les procès liés à la propriété privée et à la propriété intellectuelle se multiplient, où l’on recourt à un tribunal aussi bien pour reproduire la place des Terreaux réaménagée par Buren que le volcan d’Auvergne le Pariou, l’artiste ne porte pas préjudice, il sourit tant qu’il en est encore temps, et nous demande juste à qui appartient le monde, son image…
Le nouveau projet de Raphaël Boccanfuso pousse encore plus loin le brouillage entre créativité et propriété. Il choisit les deux auxiliaires "être©" et "avoir©" dans la typographie utilisée dans les catalogues d’exposition et les supports de communication du MAC/VAL pour les déposer, agrandis et transformés en "images", auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI, dépôt dans une "enveloppe Soleau"). Il devient ainsi détenteur du graphisme, et au-delà du sens qu’il véhicule : une astuce pour s’approprier ce qui ne lui appartient pas, pour contaminer les publications du musée… et pouvoir potentiellement attaquer en justice toute personne qui utiliserait ces mots dans cette police sans les faire suivre de son copyright. Pour repointer les circuits utilisés, et en respectant le champ sémantique, il met en vente aux enchères "avoir©" et reste propriétaire d’ "être©". Cette fiction où l’on peut acheter les droits d’exploitation d’une image qui n’a finalement pas d’intérêt renvoie l’art à son absence d’autorité légale, en même temps qu’elle s’inscrit dans une longue histoire de jurisprudences où Brancusi peut affronter les douanes américaines, Duchamp signer un objet manufacturé et Klein multiplier les dépôts à l’INPI. Le recours au droit d’auteur permet à Raphaël Boccanfuso d’interroger la valeur et l’originalité de l’œuvre d’art, celui au copyright souligne l’assimilation de l’œuvre à une marchandise et de l’auteur à un marchand. La pensée de l’original en art peut bien n’être© plus d’actualité, c’est toujours une porte d’entrée du juridique dans l’artistique… terrain mouvant pris de front par les pratiques artistiques du XXe siècle, menaçant de devenir une véritable pente savonneuse…
Faire image de l’interdiction de l’image… Raphaël Boccanfuso, Mithridate du droit d’auteur s’inoculant le virus du copyright pour mieux résister à la sur-légifération du monde contemporain ? Philistin qui, pour exorciser l’épidémie, fait des images figurant les signes de la maladie pour les renvoyer chez l’agresseur ? Peut-être© simplement s’inscrire dans l’histoire des formes pour mieux pirater les comportements. Mais vendre "avoir©" et garder "être©" est plus qu’une simple boutade quand aujourd’hui la liberté de création artistique est bien moins protégée que la propriété littéraire et artistique. L’autonomie de l’art et la censure des juges ont grandi en proportion. Marie-José Mondzain souligne justement tout le trouble de l’expression "propriété de l’image" : "D’un côté, le pouvoir qui définit l’être©, de l’autre la domination de l’avoir©."* C’est là où la production de Raphaël Boccanfuso travaille à plein régime, en rajoutant au trouble, en rendant à la pratique artistique sa forme de visibilité déplacée, en donnant au principe "privé" du droit d’auteur sa scène publique.

Julie David

PS : le coût d’une enveloppe Soleau pour déposer son projet à l’INPI est de 15 euros ; pour cette même somme, les droits de Raphaël Boccanfuso pourraient être© gérés à vie par l’ADAGP…

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* " Image, sommes-nous propriétaires ou possédés ? ", in Art Press, n° 284, novembre 2002.
  
 
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© Raphaël Boccanfuso 2009