PRESSE


Les Démonstrations absolues de Raphaël Boccanfuso

A première vue on est tenté de placer Raphaël Boccanfuso dans le registre de la dérision, voire du cynisme ; ce qui pourrait le situer au cœur de plusieurs pratiques actuelles entre critique radicale et stratégies courtisanes. Une des premières pièces qui l’ont fait remarquer consiste en ce qu’on peut appeler une « voiture sandwich » qui sert à la promotion des structures qui l’aident. Car plutôt que de se cantonner à la situation bien connue de l’artiste assisté, Raphaël Boccanfuso préfère positiver les termes en "échange" empruntant les modèles des entreprises de communication, en l’occurrence ceux de la "publicité par l’objet". Ainsi Raphaël Boccanfuso inverse avec panache la relation moderne de l’artiste au mécène se proclamant ouvertement "au service"de la promotion de son généreux mécène tout en revendiquant à cette prestation le statut d’œuvre. (cf. le site des aides individuelles à la création de la DRAC Ile-de-France, le n°9 de Synesthésie parrainé par R.B. mécénat,
le n°8).
A l’invitation de la BF15 à Lyon Raphaël Boccanfuso a installé dans cet espace jouissant d’un emplacement idéal, place des Terreaux, trois pièces qui approfondissent cette démarche.

Une silhouette découpée dans la vitrine, celle d’une hôtesse de salon professionnel donne le ton : "plus proche de son public avec R.B.". Pour ce faire l’artiste continue son jeu de rôle devenant tour à tour éditeur de cartes postales touristiques et spécialiste d’études marketing. Les méthodes s’appliquent toujours aux questions de l’art.
Au rez-de-chaussée un diaporama présentait des paysages urbains qui interpellaient aussi bien le promeneur lambda, que le photographe professionnel, ou l’observateur des paradoxes. Le premier déambule dans les lieux publics investis par des artistes ou architectes célèbres. Le deuxième caresse l’idée de faire des cartes postales. Le troisième édite les cartes postales. Le tout réuni donne jour à une série de cartes postales où l’artiste aura représenté à sa façon les grands bâtiments contemporains : Bibliothèque de France, Arche de la Défense, Place des Terreaux lyonnaise avec une fontaine de Buren ... La loi latine protège les auteurs et donne la possibilité aux architectes ou aux artistes de l’espace public repérés par Boccanfuso d’exiger une rétribution pour toute diffusion massive d’images de leur œuvre. L’artiste répond à l’artiste en respectant sa volonté. On ne verra pas les réalisations prestigieuses, mais le paysage alentour, l’œuvre bâtie étant pixellisée à la manière des documentaires télévisuels qui protègent l’anonymat des témoins. Ainsi, les bâtiments publics (Opéra de Lyon de Jean Nouvel, Bibliothèque de France de Dominique Perrault), camouflés dans l’image deviennent virtuels. Par cet iconoclasme audacieux, R. Boccanfuso pose beaucoup de questions intéressantes. Le fait pour un artiste d’interdire la diffusion de l’image de son œuvre procède du désir de donner à cette œuvre un statut d’autonomie par rapport aux autres bâtiments de l’espace public. Ce statut s’apparente à celui des personnes qui jouissent d’un droit à l’image, lequel droit les protège de toute reproduction sauvage attestant de leur présence dans un lieu (règle de protection de la vie privée). Mais les œuvres non photographiables jettent le même interdit sur leur environnement, les immeubles et espaces publics proches étant de la même façon escamotés, exclus, par ce protectionnisme. R. Boccanfuso réhabilite cet environnement en lui rendant sa dignité de représentation. De plus la trame de pixel dont il recouvre les édifices interdits d’image déplace la lecture esthétique que nous faisons de ce paysage. Cet effet pixel utilisé à la télévision pour masquer certaines parties, en général des personnes dont on protège l’anonymat, est une convention qui souvent renforce la véracité de propos dont la source doit rester cachée pour mettre en lumière des révélations très graves relevant de l’injustice, du scandale, et qui mettraient en danger le témoin. Pixellisation par ailleurs source de fantasme où la négation de la personne n’est pas vécue comme un acte révisionniste mais plutôt comme un gage de vérité. D’artiste à artiste, R. Boccanfuso aurait sans doute pu obtenir les autorisations. Il faut donc en conclure que son intention n’a jamais été de photographier ces édifices illustres mais de les mettre en tension par rapport aux notions d’espace et de paysage publics. Et de renvoyer à une prise de conscience citoyenne.

"Savoir disposer ses couleurs", la deuxième série présentée à la BF 15, prend la forme du patient travail d’un amateur des grands maîtres de la peinture non-figurative lequel a voulu vérifier de manière rationnelle les lois de représentation par composition colorée qu’ils ont prônées depuis le début du XXe siècle . Ce pourrait être le travail obtenu par un maniaque des statistiques qui aurait pour ambition de résoudre les mystères de la couleur par l’analyse quantitative de cette dernière. A coup de cutter il a méticuleusement découpé chaque surface de même ton puis a recollé ces fragments dans un modèle emprunté aux histogrammes que les experts des services d’étude affectionnent. Il fait voler en éclat l’intégrité des compositions de Mondrian, Albers,… en éclats de couleurs qu’il recompose avec application. Les plages de couleur sont collées les unes aux autres. Conjurant l’absolu pictural, Boccanfuso analyse ainsi froidement les recettes des grands peintres, leur pourcentage d’énergies jaune ou rouge. Commentaire d’un genre inédit, qui ne peut être pris pour une blague de potache tant la réalisation est consciencieuse. Détournement ? Parodie d’un cours sur l’histoire de l’art ? Il introduit d’ailleurs l’un de ses collages dans une vidéo filmant une conférence de Michel Ragon sur la peinture abstraite. Sa série de cartes postales, réunies sous une pochette bleu yves Klein, sans découpage bien sûr, est encore une pirouette qui provoque pleinement le fétichisme lié aux objets d’art.

Chez Patricia Dorfmann la "Marianne 2002" qu’il présente amorce une nouvelle phase de cette analyse des représentations symboliques culturelles. L’exposition tombe à pic puisqu’en pleine période d’élections où le débat sur les valeurs républicaines a été particulièrement intense. Or l’identité de la République c’est bien, au niveau populaire, cette Marianne qui l’incarne. Et toutes les stratégies médiatiques populistes qui ont amené les politiques à donner à Marianne les traits de Brigitte Bardot ou de Laetitia Casta sont dénoncées par sa proposition. Constatant que la législation autorise toute représentation subjective de Marianne R. Boccanfuso propose de lui donner les traits de sa galeriste. Quelques maires ont compris cet enjeu et en accueillant ce buste dans leur mairie en ont profité pour donner un petit cours d’instruction civique à leurs administrés. Ainsi R. Boccanfuso a encore une fois apporté son service à une réflexion à laquelle l’art contemporain nous convie trop rarement celle de la valeur des choses, financière et symbolique, de la tractation, de la représentation sociale, de l’information, de la communication et de l’engagement.

Anne-Marie Morice (extrait de Les Démonstrations absolues de Raphaël Boccanfuso, 2002)
à l’occasion de l’exposition Sans titre, 2002, BF 15, Lyon.
back

© Raphaël Boccanfuso 2009